LES MÉDIAS ET LA PROBLÉMATIQUE DE L’IMAGE DEPUIS LES PROCÉDÉS DE REPRODUCTION
Tous droits d’auteure © 1997 Lynn Millette
CHAPITRE II : DE LA MAGIE À LA SCIENCE
CHAPITRE III : LES TRANSFORMATIONS IMAGIÈRES
Chapitre 3: Les transformations imagières
La nature est notre seul modèle et nous tentons de la maîtriser. La technologie imite la nature afin d’y puiser ses ressources. Les inventions de l’homme sont des versions simplifiées des phénomènes naturels. Tel cet immense barrage de la Baie-James qui fonctionne selon les mêmes principes qu’une chute d’eau. Cette même chute peut inspirer un artiste, un ingénieur ou architecte. Elle est pour chacun un point de départ. Nous avons reproduit et imité ce que nous semblons comprendre de notre entourage. La nature demeure à l’extérieur de notre être. Nous avons imité les rivières pour creuser des canaux, les oiseaux pour les développements aéronautiques, les poissons pour les technologies maritimes. Maintenant nous nous imitons. De la nature, nous prenons ce dont nous avons besoin pour faciliter notre existence.
Face à la nature, nous possédons une forme de rationalité indépendante de l’environnement. Après avoir imité la nature sous toutes ses formes, l’être humain, à présent, se retourne sur lui-même. Les technologies informatiques reflètent ce que nous pensons connaître de l’intelligence humaine. Qu’est-ce que ces technologies changent vraiment au point de vue de l’image?
Les développements technologiques transforment l’apparence de la peinture sans même y toucher. Que le regardeur visualise une oeuvre vidéographique ou un tableau, il se produit un phénomène semblable, la différence se joue principalement dans le domaine de la temporalité.
Le progrès technologique et les nouveaux matériaux disponibles sur le marché transforment constamment le visage de l’art. Marshall McLuhan (1964) a écrit: "L’artiste sérieux est la seule personne capable d’affronter la technologie avec impunité, parce qu’il est un expert conscient de tout changement de la perception des sens."
Les images répandues sur le réseau Internet et par les médias sont l’accumulation simultanément historique et actuelle de notre civilisation. Notre rapport aux images se transforme. Que ce soit la photographie qui capte le réel ou la peinture qui reflète l’époque de l’artiste dans toute sa complexité, la notion d’immatérialité par rapport à l’image fixe se joue au niveau de l’intellect.
Mon regard s’est ouvert sur cette banque d’images que nous offrent les médias et leurs méthodes de reproduction. La qualité temporelle des journaux et des périodiques ajoute à mon questionnement pictural sachant que demain ces mêmes images s’ajouteront à notre histoire. La récupération d’images médiatiques pour la production d’une oeuvre sollicite également la mémoire. L’artiste devient lui-même spectateur en faisant une sélection parmi des milliers de représentations. Le discours de l’artiste est perçu par les associations symboliques qu’il établit entre les éléments.Le travail que constitue la manipulation d’images médiatiques exige une approche conceptuelle réfléchie. Les différentes possibilités de transformation d’images acces-sibles par les nouveaux processus de communication sont infinies.
Les nouvelles techniques créent des processus formels qui offrent des possibilités de rendement que les artistes explorent, et même épuisent. Lorsqu’un changement se manifeste à l’intérieur du paradigme culturel dû à une transformation de la représentation, toutes les théories et les recherches esthétiques subissent les influences de ce nouveau paradigme. Par exemple, la pensée moderne et la photographie ont simultanément causé une transformation radicale de l’art. Lors de la découverte de l’appareil photographique, Picasso (1964), se rendant compte qu’il ne s’intéressait point à la représentation exacte de la réalité, a dit en rigolant: "J’ai découvert la photo, je peux maintenant me tuer. Je n’ai plus rien à dire!". La décomposition de l’image par les cubistes et l’idée de dématérialisation revendiquée par les dadaïstes confirment une évolution artistique allant au-delà de l’apparence.
Les technologies informatiques nous permettent de voir l’impossible. Ces technologies ont des répercussions beaucoup plus profondes que sur le simple plan technique, tout comme la photographie et le cinéma qui ont révélé de nouveaux points de vue, tels que les gros plans et la distance. L’aspect visuel débouche maintenant sur un terrain visuel complètement simulé. Les événements médiatiques sont à la fois partout et nulle part. L’immatérialité virtuelle a ébranlé la crédibilité de la représentation imagière.
Ce qui est de l’ordre de la pensée est de l’ordre du virtuel. Les oeuvres conceptuelles, sous forme de tableaux ou d’installations, laissent libre cours aux inter-
prétations. Basées sur des indices d’origine culturelle, elles sont de véritables casse-tête inachevés. Ce n’est que par la présence du spectateur, et de ses connaissances, que le contenu devient significatif.
Ces nouveaux médiums ont causé chez moi un dédoublement dans la trajectoire de mon cheminement. Tout en tenant compte de l’évolution technologique, je peins. J’ai choisi de faire les choses ainsi.
La peinture est physiquement stagnante. Elle appartient au monde des objets. Dans ce médium est emprisonné le moment de sa propre réalisation. La peinture demeure ce qu’elle a toujours été, une fenêtre métaphorique. L’apparence et le concept sont entremêlés dans la peinture, ils sont inséparables.
Lorsque l’on quitte la salle d’exposition où se trouve accroché un tableau, le contenu du tableau, sa réalité persiste. Le tableau est là, comme nous, sauf qu’il est représentation. On se place devant. Vide de sons et de mouvement, par ces dimensions, le tableau communique son contenu. Dans le silence, je perçois une forme d’interaction.
J’ai alors choisi de m’exprimer par la peinture. Pour sa présence matérielle, son aura (Benjamin, 1969) et la solitude dans la laquelle je retrouve la paix. La toile, le faux cadre, les tubes de peinture et les pinceaux sont spécifiquement les matériaux qui ont été conçus pour faire de l’art. La toile n’a qu’une utilité. Ces matériaux sont emblématiques de l’art. La simplicité des matériaux utilisés en peinture et en dessin offre à l’artiste un rapprochement intime de la pensée et de la main.
La peinture fait directement appel à la mémoire et aux développements de l’image sous toutes ses formes. En tenant compte des transformations technologiques, de tout ce qui a été développé concernant l’image par la peinture et de ce que signifie la figuration figée d’un dessin ou d’un tableau, je crée des lieux non existants qui transportent le spectateur ailleurs et en soi.
¿ líintÈrieur du langage visuel de la peinture, il existe une problÈmatique en perpÈtuelle transformation qui est liÈe Ètroitement ý la rÈalitÈ. Mon intÈrÍt porte sur les notions qui constituent la rÈalitÈ virtuelle. Jíexprime un lieu qui interprËte nos connaissances de líespace. Mon travail explore la rÈalitÈ díun environnement conceptuel.
L’art conceptuel fait appel nécessairement à la mémoire et au langage, une faculté innée de l’être humain. Nous nous exprimons pour communiquer nos idées, dans nos pensées et même dans nos rêves (Heidegger, 1975). Les interprétations s’avèrent infinies.
La peinture actuelle peut incorporer sur un même plan une composition abstraite ayant des éléments figuratifs, tout en tenant compte des catégories d’abstraction,
de figuration et de formalisme. Ces oeuvres sont réalisées avec une connaissance et un respect des conventions propres à chaque genre. Cette peinture lisible et ouverte est consciente de ses contradictions. Elle reflète les préoccupations matérielles et sociales de notre temps. La peinture, à présent, cherche un autre état de conscience. L’abstraction actuelle comprend une dimension narrative, sociale, biographique ou personnelle, par laquelle le spectateur est interpellé.
J’ai peint ces images en tenant compte de ce que nous savons de toutes les sortes d’image. Soit en art, en publicité ou dans les médias. Le type de scènes que j’ai développées fait appel à la mémoire. La plupart de ces oeuvres sont à mi-chemin entre l’abstraction et la figuration. Celles-ci exigent une lecture de l’image parti-culière. Ce type de communication n’est pas de l’ordre de la narration. Ce travail parle plutôt de l’état de quelque chose dans l’immédiat. La temporalité est maintenue dans le présent. L’image d’un barrage que j’ai peint est un débordement glacé. L’eau descend à toute vitesse et frappe la surface à pleine force. On regarde cette image et on a l’impression que l’eau ne s’arrêtera jamais. Ceci est pour moi une condition, un état.
Dans mon travail, il y a la figuration. Je veux dire, la façon de construire une image par le dessin avec des éléments qui imitent symboliquement la réalité. Puis, j’introduis des notions d’abstraction. Par exemple, je peux peindre une masse noire au milieu d’un paysage dans lequel repose une immense pierre d’agate. Je prends des notions existantes dans des tableaux appartenant à différents moments au cours du siècle et je les conjugue dans des contextes différents. Je déplace les éléments. Je trouve intéressant d’utiliser tout ce que la période moderne a su développer par rapport à l’image et de l’appliquer simultanément avec des méthodes de représentation traditionnelles. Je m’approprie certains sujets et je m’imagine les amener dehors ou de les rentrer à l’intérieur. Dans le passé, il arrivait d’entendre des remarques à l’égard de tableaux formalistes telles "ce n’est pas une oeuvre purement abstraite" ou "je reconnais des formes organiques dans ce tableau". J’ai décidé d’incorporer l’abstraction et la figuration dans le même travail, tout en tenant compte de l’équilibre de ces deux approches sur un même plan.
Parmi mes images, il se trouve quelques sujets figuratifs: un oiseau, un poisson et une semence d’érable. Ces peintures sortent du contexte allégorique de la série de tableaux pour faire appel au sens littéral du naturel. Ce contraste d’apparence suscite un second regard sur les images au sens ambigu. Une maison de ville est vue de côté. On ne voit ni porte, ni fenêtre. Un simple mur de brique laisse paraître la silhouette d’une maison du passé. Cette scène qui est pourtant représentative, prend un sens abstrait. L’état actuel du bâtiment marque le déroulement de la vie.
D’une part, je recherche la perte de contrôle et d’autre part, je veux tenir compte de la réalité technologique qui m’entoure; je veux peindre le présent.